LES « ANCETRES »
Il y a mille ans, le seigneur de Fougères s’appelait Frangall. C’était un descendant des Vikings, qui avait juré allégeance au comte de Blois. C’était un homme très grand, très fort et très méchant, qui aimait passer son temps à faire la guerre, tuer des ennemis en les fendant en deux ou en leur coupant la tête. Quand il n’était pas à la guerre, il partait chasser dans les forêts profondes de Sologne pour chasser, et tuer le plus d’animaux possibles. On disait que son épée ne séchait jamais tant il s’en servait souvent !
Frangall était marié à la plus douce et à la plus gentille jeune dame que l’on puisse imaginer : Marie. Elle était aussi douce que lui était méchant et sanguinaire ! Mais à l’époque, on mariait les jeunes filles nobles sans leur demander leur avis… Frangall était jaloux et n’aimait pas que son épouse reçoive trop de visiteurs au château pendant ses longues absences. Et les distractions se faisaient rares, une fois les ordres donnés aux domestiques ; à part la tapisserie, la broderie, la musique et les promenades, Marie s’ennuyait. Frangall lui avait même interdit de recevoir des visites des seigneurs voisins et les troupes de jongleurs et de troubadours. Mais elle ne pouvait les renvoyer.
Marie promettait à son époux de ne recevoir personne, mais accueillait quand même quelques artistes pour l’occuper. Parmi eux, un jeune troubadour à la jolie voix et bien de sa personne venait chanter pour Marie pendant qu’elle filait ou tissait dans la bibliothèque. Et pendant ce temps, Frangall chevauchait en tuant moult ennemis.
Un jour, Frangall eut l’idée de vérifier si son épouse lui obéissait bien… Il rentra à Fougères sans prévenir, déguisé en mendiant, en gardant sa barbe, et courbé pour éviter d’être trahi par sa haute taille. Il vint demander l’aumône et le couvert au château de Fougères. Ses domestiques lui servirent à boire et à manger, et lui proposèrent de passer la nuit au château sans le reconnaître. Sous prétexte de saluer le maître des lieux, il demanda audience à la châtelaine. Et un valet innocemment, lui répondit qu’elle se trouvait à la bibliothèque en compagnie du troubadour… Son sang ne fit qu’un tour : il se redressa, jeta ses hardes pour se montrer en tenue de chevalier. Puis il tira son épée, monta quatre à quatre les escaliers menant à la bibliothèque, trouva son épouse en train de filer, et le troubadour assis par terre, en train de jouer de la musique. Frangall coupa le troubadour en deux d’un seul coup d’épée, et Marie s’évanouit. Le seigneur appela ses gens, et fit porter Marie inconsciente, au sommet du donjon. Une fois enfermée, il garda la clé, remonta en selle et repartit à la guerre.
Evidemment, Maris mourut de faim et de soif, mais aussi de chagrin. Travaillé de remords, Frangall revint à Fougères. Trouvant sa femme morte, il la fit enterrer quelque part autour du château pour qu’on entende plus parler d’elle. Il songea à se remarier, mais aucun parti ne voulut du seigneur Frangall pour époux, car le drame s’était ébruiter dans toute la région. On murmurait même que le château de Fougères était hanté : les villageois disaient voir la nuit une forme blanche tourner au dessus du château. Il ne pouvait s’agir que du fantôme de Marie !
Des témoins racontèrent même qu’un soir, ils virent Frangall tomber du haut des remparts et en mourir. Suicide causé par les remords ? Ou bien vengeance de la Dame blanche ? Toujours est-il que la Dame blanche se promènerait toujours autour du château, suivie par une forme noire qui implore son pardon… depuis mille ans.
La Dame blanche était de son vivant la fille de Zibrid, un des descendants d'Adalbert, fondateur du château.
Main dans la main, Mathilde et Louis marchaient au bord de la rivière Montmorency dont ils connaissaient tous les méandres. Après les durs travaux du jour, ils se rendaient parfois jusqu'en haut du grand sault, là où on voit toute l'île d'Orléans qui ressemble à un gros poisson couché au milieu du fleuve. Ils faisaient mille projets et leur coeur débordait d'amour. Mathilde refusait de décrire la robe blanche qu'elle avait cousue pour le grand jour. Louis ne la verrait que le matin des noces !
Voici qu'un matin de juillet, dans toutes les paroisses de la côte, les curés avaient réuni les familles et lancé :
- Partez ! Emmenez bêtes et provisions ! Terrez-vous au fond des bois ! Les Anglais sont là !
Seuls demeuraient sur les bords du fleuve Saint-Laurent les hommes, jeunes et vieux, qui s'étaient engagés dans les milices pour défendre leurs biens jusqu'au dernier souffle. Non, les Anglais venant de l'ouest ne franchiraient pas la rivière ! Mathilde Robin aurait bien voulu camper avec les miliciens. Elle aurait tout accepté pour être auprès de Louis ! Mais la guerre est l'affaire des hommes, elle le savait.
Réfugiée dans les bois avec sa famille, elle languissait. À chaque fois qu'arrivait un nouveau venu parmi les tentes, elle posait toujours la même question :
Puis, un jour, un milicien arriva avec quelques Indiens et un blessé qu'il confia aux femmes.
- Les Habits rouges ont attaqué les redoutes, dit-il, hors d'haleine, et ils ont tenté de gravir les falaises et de franchir les gués. Mais nos troupes les attendaient derrière les fascines et elles ont empêché leur avance.
La bataille de Montmorency se terminait par une brillante victoire des Français. Dans le bois, tout le monde attendait des nouvelles. Quelques soldats et miliciens essoufflés et trempés vinrent rassurer leurs parents. Mathilde eut beau attendre et attendre encore, Louis ne vint pas au campement dans le bois. Alors, n'y tenant plus, elle quitta les autres sous la pluie et se dirigea en hâte vers la rivière. Elle se mit à courir sur les rochers sans se soucier des ronces qui déchiraient son mantelet et son jupon. Bientôt elle arriva au premier gué. Louis Tessier ? Non, il n'était pas là. À l'autre gué, peut-être. Mathilde, haletante, continua son chemin. Au deuxième gué, on n'avait pas vu Louis. Mathilde repartit, mais là aussi, elle fut déçu, il n'était pas au troisième gué. « Il a peut-être tenté d'aller à la ferme », se dit-elle. Elle se précipita sur le sentier qui menait aux habitations. Et cette fois encore, elle ne trouva personne. Mais elle fut saisie de crainte en voyant flamber autour d'elle des granges et des maisons. Elle comprit que les Anglais avaient incendié les fermes et les granges. Elle courut à perdre haleine vers sa maison encore intacte. Elle ouvrit la porte et appela :
- Louis ! Mais seul le silence lui répondit.
Mathilde réussit à se guider dans la noirceur. À tâtons, elle ouvrit l'armoire et repéra sa robe blanche. Elle la saisit et la serra contre elle. Puis elle se dépêcha de ressortir. Elle poursuivait sa quête en répétant le nom de l'aimé. Elle arriva enfin en amont de la grande chute ; elle vit des gens et entendit des appels.
- Mathilde ! Oh ! Mathilde !
Folle d'espoir elle alla vers les voix qui montaient dans la nuit. En la voyant, les miliciens s'écartèrent et firent silence. Il était là, son Louis : il reposait sur la rive dans ses habits familiers. Mathilde l'appela doucement, attendant qu'il se lève et qu'il accoure vers elle. Mais Louis restait couché et ne donnait aucun signe de vie. Alors, elle comprit qu'elle arrivait trop tard. Elle se jeta sur son corps en hurlant sa douleur. Au bout d'un moment, elle sécha ses larmes et s'enfuit. Guidée par le bruit grandissant de l'eau qui se précipitait vers le fleuve, elle arriva juste en haut, au bord du rocher. C'était là où tant de fois elle s'était tenue avec Louis, là où toute la rivière, d'un geste majestueux, bascule dans le vide. Mathilde enfila sa robe blanche et sans hésiter un seul instant, elle ouvrit tout grand les bras et se laissa glisser dans la chute. On ne la revit plus jamais. Encore aujourd'hui, pendant les belles soirées d'automne, juste à la fin du jour, les gens de l'île d'Orléans racontent qu'ils peuvent voir distinctement une jeune femme toute vêtue de blanc errer au pied du grand sault de Montmorency. C'est le fantôme de Mathilde Robin qui, les soirs de lune, semble chercher encore dans les bouillons de la chute le corps de son bien-aimé.
Le vent apporte parfois sa plainte jusqu'à Saint-Pierre ou Sainte-Pétronille. Alors, les gens s'arrêtent et disent : - La voilà. C'est Mathilde Robin, la dame blanche.
Ce récit est adapté d'une légende orale qui circule encore sur la côte de Beaupré. La bataille à laquelle on fait référence est celle de Montmorency, qui précéda de quelques mois celle dite des « Plaines d'Abraham » (1759) où les Anglais conquirent, après tant d'efforts, la Nouvelle-France.
Autrefois, un lac s'étendait sous les murailles de Puivert. Or, une Princesse d'Aragon, qui était très vieille et malade, demanda au Seigneur de Bruyère, Maître des lieux, de terminer sa vie au château de Puivert.
Une légende s'attache aux ruines du Mont-des-Boules. Elle a pu, à l'origine, s'appliquer au château du Mont-Ori, puis, après la disparition de celui-ci, se réfugier, en quelque sorte, dans les vestiges du Mont-des-Boules. Laissons l'archéologue de Golbéry, dont le texte à ce sujet semble le plus ancien (1828), nous la conter naïvement :
Une légende semblable se rencontre au pays basque. Elle se situe même, curieusement, en un lieu dénommé Mont-Ohri. La voici, résumée par Sébillot, d'après l'ouvrage de Cerquand : " Légendes du pays basque".
Que deux légendes construites sur le même thème se trouvent en des lieux quasiment synonymes, il y a de quoi s'interroger. Ainsi, la tradition de Rougemont a-t-elle été transplantée au pays basque, ou l'inverse ? Qui le dira ? Notons, toutefois que le pays basque est placé sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, lieu de pèlerinage fréquenté jadis, depuis le IXe siècle, par une grande partie de l'Europe. Et l'on sait que pèlerins, soldats, marins, marchands, ménestrels et autres voyageurs ont largement contribué à la propagation des contes et des légendes.